Être soi-même

On entend souvent « deviens ce que tu es », « sois toi-même ». Dans ce simple énoncé, ce que j’entends (avant de voir ce que ça veut dire « être soi-même »), c’est un immense désir. De fait, toute personne humaine est habitée par le désir de vivre pour de vrai, d’être libre, d’être elle-même.

Comment se fait-il qu’il soit difficile d’être soi-même, si c’est notre désir ?

Je vois deux choses. Premièrement : l’illusion que si l’on écartait les difficultés, l’on pourrait enfin être qui l’on est. C’est une illusion, parce que les obstacles, les freins qu’on peut éprouver font absolument partie de notre chemin. C’est au travers des difficultés que je vais me construire.

D’où viennent-elles ? De la façon dont je reçois les choses, dont je réagis. Ces difficultés parlent de ce que je suis. D’elles va naître quelque chose de moi qui va se révéler.

La deuxième illusion, liée à la première, c’est de croire qu’on aurait au fond de nous notre vraie personnalité. Il n’y aurait qu’à attendre qu’elle se révèle quand ce qui l’étouffe sera écarté. Mais c’est complètement mythique. Ce que nous sommes n’est pas tout fait mais se construit tout au long de la vie. Qu’a-t-on au fond de nous ? Des potentialités et non des choses toutes faites. Ces potentialités vont s’exprimer en fonction de la vie, des relations. Boris Cyrulnik montre comment, même quand les circonstances sont terribles, il peut y avoir pour l’enfant la possibilité de naître à la vie.
Être soi-même va de pair avec la connaissance de soi. Ce n’est pas une introspection où l’on essaye de voir en soi, c’est un parcours. Mais c’est un parcours qui fait quand même un peu peur. J’accompagnais une jeune femme qui ne supportait pas l’emprise de sa belle-mère sur elle au travers de sa gentillesse. Mais elle s’est rendu compte qu’elle ne supportait pas cette attitude parce que ça rentrait en résonance avec ce qu’il y avait en elle. Elle-même voulait tout savoir sur son garçon, tout maîtriser, au nom du bien.

Apprendre à se connaître est un chemin qui va nous dévoiler des choses sur nous-mêmes qui ne sont pas idéales. Ce chemin n’est pas facile. Il fait peur. Certains ne vont pas s’y engager. On est enfermé dans une image de soi. Mais l’image n’est pas le réel. Je crois me connaître, mais que vais-je vraiment découvrir ? Je vais être amené à me rendre compte que derrière la fille/le garçon sympa, il y a des choses pas forcément belles, qu’on ne veut pas voir. On s’imagine qu’on ne peut être aimé que si l’on est bien. Mais la bonne nouvelle de la Bible, c’est que Christ nous aime tels que nous sommes.

L’idée qu’on ne peut être aimé que si l’on est bien commence très tôt. L’enfant capte ce qui plaît à son entourage (les parents d’abord) et va se conformer à ce modèle, cette image. Quand il y a un frère, une soeur, on est à deux à partager la présence, l’attention des parents. Alors on veut la disparition de cette concurrence. Le monde adulte est identique. Avec tout ça, notre personnalité va se construire. On se débat, on se coince tout seul avec ces questions : ne pas dire certaines choses de peur qu’on ne nous déprécie, nous rejette. On n’est pas à l’aise, sans savoir pourquoi.

Se dégager des mauvaises images de soi

Toutes ces images de moi et de l’autre qu’on se crée sont inévitables, mais c’est embêtant quand elles deviennent notre réalité. Je commence à me dégager quand je comprends que ce que je perçois n’est pas tout moi ou tout l’autre. En plus je me perçois et je perçois l’autre d’une façon subjective. C’est pourquoi Christ dit « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ». On est pris dans des jeux d’image où c’est très mêlé.

Quand on arrive à se dégager de ces jeux, beaucoup de choses tombent. Quand on est tout le temps en colère contre quelqu’un ou qu’on n’arrive pas à supporter quelqu’un, c’est qu’on l’a enfermé dans une image. J’ai connu une jeune femme qui avait été abandonnée par ses parents. Elle vivait pendant longtemps dans une terreur de son père, jusqu’à ce qu’elle s’en dégage et puisse le revoir sereinement.

Comment pouvons-nous vivre ce dégagement ? C’est déjà en arrivant à repérer ce qui en nous est mouvement de colère, d’envie ou de frustration. Souvent nous ne sommes pas conscient de ce qui se vit en nous. Nous le devenons, quand nous acceptons la venue à la lumière de ce que l’autre suscite en nous plutôt que de vite l’étouffer pour sauver notre image de nous-mêmes. Pour les chrétiens, cette lumière est la Bible, la Parole de Dieu.

Pourquoi est-ce si difficile de quitter cette image de moi ? Parce que j’ai fait tellement corps avec ces images que les quitter, c’est me perdre un peu. Souvent nous commençons à nous rendre compte que quelque chose ne va pas quand nous souffrons.

La souffrance met le doigt sur quelque chose à changer. Il y a un passage difficile, là, qui rejoint la parole du Christ : « celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera » (Evangile de Luc ch. 9 v. 24). Si nous voulons sauver notre bonne image de nous-mêmes, nous nous perdons.

Oser être soi…

Un autre point décisif pour habiter sa véritable identité, c’est accepter la différenciation. Ça peut paraître évident mais c’est vraiment une difficulté. Le mari de la femme que j’ai citée, par exemple, a confié à sa mère la visite et l’achat de leur appartement. Il ne faisait pas la différence entre lui et sa mère, sans s’en rendre compte.
Avec qui se confond-on ? Mère, père, un(e) autre ? Devenir soi-même c’est vivre une certaine séparation différenciatrice.

Là on touche un point délicat. Certains sentent qu’il y a une confusion mais n’osent pas affronter le risque de conflit. Alors ils prennent de la distance (habiter dans une autre ville par exemple) et parfois définitivement. C’est un aménagement mais y a-t-il vraiment séparation intérieure ? Car se séparer, quitter, c’est pouvoir revenir avec un amour plus grand parce que libre. Il y a des conflits qui sont inévitables bien qu’on en ait peur. Une relation libre passe nécessairement par de tels moments.

… Et même mieux

« Heureux celui qui devient lui-même ! » : aujourd’hui notre monde met l’accent sur ça. Il y a une exacerbation de l’épanouissement personnel. Mais savez-vous qu’il y a plus important encore ? Si je peux vivre la séparation différenciatrice, c’est parce que ce ne sont pas mes parents qui m’ont donné la vie. Ils me l’ont transmise. Derrière, il y a un amour immense qui désire que je vive : celui de Dieu. Dieu a voulu que tu vives, que tu sois. C’est de son amour que tu es né(e). Jésus nous montre cela en se référant à son vrai Père, quand, à 12 ans, il est au temple de Jérusalem (voir l’Evangile de Luc ch. 2 à partir du v. 42).

Le chemin du devenir soi-même passe par découvrir que le plein bonheur vient de Dieu. Devenir moi, c’est de plus en plus vivre que ma valeur ne dépend pas du regard des autres. On a besoin du regard des autres, mais on ne doit pas en être dépendant.

Dieu dit dans le livre du Deutéronome (Ancien Testament) : « j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité » (ch. 30 v. 19). Le choix de la vie est un choix permanent. Quand quelqu’un a une parole humiliante pour moi, est-ce que je plie l’échine ou est-ce que j’accepte que Dieu m’aime, que ma vie est chère à ses yeux, que je peux me différencier de l’autre et poser une limite à son emprise sur moi ?

Dans mes comportements, mes attitudes, mes choix, mes paroles, qu’est-ce qui est chemin de vie ou chemin de mort ? Le chemin de vie est étroit est peineux, mais je souffre de toute façon de ne pas m’y engager. Réfléchissons-y et faisons le bon choix…

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